Sebastian Hass et Christophe Parisot : « Une magnifique vitrine de la capacité de la France à montrer le meilleur d’elle-même »

Pour la Journée de l’Europe, CALIF est allé interroger Sebastian Hass, conseiller spécial aux affaires franco-allemandes au sein de Miller & Meier consulting et fondateur du cabinet berlinparis.eu, par ailleurs ancien chef de cabinet d’Angela Merkel, et Christophe Parisot, ambassadeur de France au Danemark. Deux regards aiguisés pour analyser pour nous la façon dont sont perçus ces Jeux olympiques et paralympiques (JOP) chez nos voisins européens.

En tant qu’ambassadeur de France à Copenhague, peux-tu nous dire comment sont perçus les JOP 2024 aujourd’hui au Danemark et de façon générale en Scandinavie / Europe du Nord ?

Christophe Parisot (CP) : Au Danemark, la perception des JOP 2024 est extrêmement favorable. Les Danois, plutôt francophiles, connaissent bien la France, à la fois sur le plan individuel (ils s’y rendent souvent en vacances) que sur le plan sportif. Le fait que les épreuves se déroulent en France est vu comme une configuration rassurante pour les acteurs du milieu sportif danois qui se sont impliqués dans la préparation de leur participation de manière fluide car le terrain était plutôt connu et la collaboration avec les autorités françaises très efficace. C’est l’avantage pour les Danois d’avoir des JOP proches du Danemark, contrairement aux éditions précédentes au Japon (dans un contexte Covid qui n’a pas facilité les choses) ou au Brésil.

Comment est perçue l’organisation des JOP en Allemagne ? Le pays est-il déjà passé en mode « olympiade » alors qu’il accueillera dans un mois l’Euro de football ?

Sebastian Hass (SH) : L’Allemagne est un pays passionné par le sport. Les grands tournois de football ou les Jeux olympiques attirent beaucoup d’attention, le pays encourage ses athlètes avec passion et les retransmissions sont diffusées à grands frais sur les chaînes de télévision publique. Mais cette année, l’euphorie se fait attendre. Les crises majeures de notre époque, comme la guerre en Ukraine et la guerre Israël-Hamas, font la « Une » des journaux et inquiètent considérablement la population. Dans l’ensemble, l’ambiance politique intérieure n’est pas très euphorique non plus. Espérons que, le moment venu, les grands événements sportifs de cet été parviendront à susciter un bel engouement.

Considères-tu que cet évènement peut jouer un rôle de soft power pour la France et contribuer à son rayonnement en Europe, dans un contexte de tension politique sur fond de guerre en Ukraine notamment ?

CP : Cet événement sera une magnifique vitrine de la capacité de la France à montrer le meilleur d’elle-même. Outre les lieux emblématiques retenus pour les différentes épreuves, qui ne manqueront pas de marquer les spectateurs, nos interlocuteurs au Danemark se sont montrés particulièrement sensibles à la volonté des organisateurs de définir le nouveau standard pour l’organisation des Jeux, avec notamment la prise en compte de l’empreinte carbone ou encore de l’attention portée à l’égalité entre les femmes et les hommes. La volonté de faire découvrir de nouveaux sports urbains, tel que le breakdance, et d’associer autant que possible tous les territoires, y compris l’Outre-mer, contribue à notre objectif d’inclusion qui trouve aussi un écho très favorable au Danemark. Sur le plan géopolitique, la question de l’invitation des sportifs russes et biélorusses, conditionnée à une stricte neutralité, est une décision qui relève du CIO, mais nos autorités ont été très claires en indiquant que les autorités russes ne seraient pas invitées aux cérémonies. Les autorités danoises ont été sur la même ligne. Quand on sait les campagnes de dénigrement et de désinformation qui sont orchestrées par la Russie, cela n’a rien d’étonnant.

On se souvient que la dernière grande compétition internationale organisée en Allemagne est la Coupe du monde de football 2006 qui fut un énorme succès populaire, surnommée « Sommermärchen ». Peut-on selon toi s’attendre à cette même logique de « conte de fée » en France pour les JOP 2024, dans un contexte de polémiques souvent stériles ?

SH : Le « Sommermärchen » de 2006 reste inoubliable pour tous ceux qui l’ont vécu. Le tournoi s’est déroulé dans une période de renaissance et d’essor et, sur le plan politique, la toute jeune « Grande Coalition » constituée par Angela Merkel permettait d’oublier (pour un temps) les divergences. La nation était détendue et unie et la météo estivale exceptionnelle. J’espère sincèrement que la France pourra également ressentir et partager une telle période de bonheur. Cela suppose un peu de bonne volonté de la part de chacun, mais aussi et surtout, au niveau politique, une volonté sincère de respecter durant les JOP la « paix olympique ».

Paris est l’une des villes les plus célèbres au monde mais peut-être moins pour le sport que pour la culture ou l’art de vivre. Aussi, quelle image sportive les JO donnent-ils de la France et de Paris ? Sachant que nous venons d’organiser la coupe du monde de rugby et que nous nous préparons à – très certainement – accueillir des JO d’hiver en 2030 ou encore un championnat du monde de handball en 2029 ?

CP : Nous disposons d’une occasion unique de faire briller le sport français, et les Danois savent bien la qualité de nos sportifs dans certains sports où nous avons l’habitude de les retrouver au plus haut niveau (handball, football notamment). Notre image est globalement très positive, comme je l’avais constaté dès mon arrivée en juin 2022, la veille de la fièvre populaire qui s’est emparée de tout le pays lors du Grand Départ du Tour de France au Danemark, un événement extraordinaire qui a clairement marqué les esprits. Cependant, je constate bien que la pratique du sport est davantage développée au Danemark qu’en France. Le rugby et les JO d’hiver sont peu suivis au Danemark même si les Danois reconnaissent notre capacité à organiser parfaitement de grands évènements sportifs.

Les JOP 2024 sont vus comme une opportunité à nulle autre pareille de renforcer le rayonnement de Paris dans le monde, à travers notamment le choix des sites olympiques (Château de Versailles, Grand Palais, Invalides, entre autres). Est-ce que cela ne donnerait pas des envies à Berlin ou Munich, alors que cela fait plus d’un demi-siècle que l’Allemagne n’a pas organisé d’olympiades ?

SH : Au cours des dernières décennies, des tentatives répétées ont eu lieu pour postuler à l’organisation des Jeux olympiques en Allemagne, notamment à Berlin et à Leipzig. Mais ces tentatives ont échoué, notamment en raison de la réticence, voire du scepticisme, des Allemands à l’idée d’accueillir les Jeux olympiques en Allemagne. Il y a plusieurs raisons à cela. Bien entendu, les souvenirs des Jeux de Berlin de 1936, instrumentalisés par les nazis, et le massacre des athlètes israéliens lors des Jeux de Munich en 1972 sont toujours dans les esprits. Mais une profonde méfiance à l’égard du tout puissant Comité International Olympique et ses dirigeants, la surcommercialisation associée aux Jeux et le souci des questions environnementales et de durabilité jouent également un rôle. Une nouvelle candidature pour Berlin 2036 est actuellement à l’étude. Y aura-t-il assez de courage pour la mener au bout ? J’ai des doutes à ce sujet.

Pour finir, quel est l’état d’esprit des Danois à l’approche de cette compétition ? Ressens-tu un réel engouement sachant que le pays a, par le passé, brillé dans certaines épreuves phares (au handball notamment mais en football ou encore en cyclisme avec Vingegaard ?)

CP : Nous entretenons d’excellents contacts professionnels avec le DIF – le comité olympique national, avec lequel nous avons organisé de très nombreux événements conjoints depuis des mois, y compris parfois en présence de membres de la famille royale. Je pense pouvoir dire sans me tromper que les Danois ont vraiment hâte d’être en France pour participer à cette fête mondiale et universelle du sport. Le Danemark est conscient de sa petite taille, mais il est aussi parfaitement conscient de ses atouts. Ils seront des adversaires redoutables !

Quelles sont les ambitions allemandes pour ces JOP en termes de médailles, alors que l’Allemagne a terminé en dehors du Top 5 au tableau des médailles lors des Jeux de Tokyo ? Cette compétition est-elle appréhendée comme un vecteur de soft power outre-rhin comme c’est le cas en France ?

SH : Les résultats décevants des derniers Jeux de Tokyo pourraient également freiner un peu l’anticipation allemande pour les Jeux de Paris. En fait, les récents résultats insatisfaisants ont déclenché un débat profond sur la promotion autrefois réussie du sport en Allemagne. Les jours de gloire des athlètes et des nageurs allemands semblent pour l’instant révolus. Mais j’en suis sûr : le huit allemand fera encore une fois une excellente figure cette année à Paris.

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